Dimanche 19 novembre 2023
J’ai rendez-vous avec Clémentine, une jeune touriste de passage pour le WE au camping. Elle me propose de l’accompagner visiter LE marae de Raiatea en voiture, proche du camping.
Les marae sont des lieux sacrés. Lieux de culte des ancêtres et des divinités, les marae sonnt des espaces de rencontre entre les hommes et les puissances divines dont il importe de se ménager les faveurs. Les cérémonies religieuses qui s’y déroulent donnent lieu à des prières, des invocations aux ancêtres ou aux divinités ainsi qu’à des offrandes et des sacrifices. Les marae étaient aussi un lieu de dépôt des reliques des morts. Les marae étaient également le reflet de l’organisation des sociétés polynésiennes anciennes, hautement hiérarchisées.
Nous découvrons le site qui présente plusieurs plateformes avec des aires dallées de pierres volcaniques ou d’origine corallienne.
Ce site a été classé en 2017 au patrimoine mondial de l’Unesco vu l’ampleur de ce patrimoine archéologique et son importance historique…
Alors que nous arrivons devant le plus grand marae, le plus divinisé du site, Clémentine s’assoit devant et médite. De mon côté, je vais voir les arbres qui y font face qui sont splendides et anciens.
Un gardien s’approche et me parle :
- tu veux aller marcher sur le marae ?
- Oh oui, bien sûr, c’est possible ?
- oui mais uniquement avec le sage
- Tu le connais ?
- oui je vais l’appeler, c’est un membre de ma famille
- oh génial (j’ai des frissons partout, les larmes aux yeux)
15 minutes se passent, Motorai arrive, le sage est là, un petit homme trapu, aux yeux clairs, avec un sourire espiègle.
Après des incantations dans les 4 directions et une prière aux esprits, d’une voix forte qui me donne des frissons partout, il nous invite à marcher sur les pierres pieds-nus, pour aller jusqu’au lieu des offrandes.
Il a apporté avec lui deux grandes feuilles et nous en donne une chacune pour que nous la posions en offrande, au milieu des autres (elles viennent du Pacifique principalement). Il nous montre les deux pierres qu’il a donné à des locaux partis en tour du monde en bateau pour les protéger. Ils n’ont eu aucun souci pendant leur périple de 4 ans et ont rapporté les pierres qui ont retrouvé leur place. Invocation, prière, il remercie les esprits de nous avoir accueillies. Je pleure quasiment tout du long, libérant des choses, reconnectant à d’autres probablement…
Je le remercie chaleureusement avec les larmes aux yeux, il est ému et me prend dans ses bras. Osès le gardien est tout content d’avoir provoqué ce moment.
Motorai nous explique que le lieu a besoin de respirer et d’être visité pour se reconnecter au tout. C’est une aubaine quand des « touristes » souhaitent marcher dessus. Néanmoins, il n’emmène pas tout le monde, nous nous sentons très privilégiées…
Lui est surtout le gardien de la passe (dans la mer qui permet de sortir du lagon), qui est la porte cérémonielle maritime sacrée. Au delà de la passe se trouvent tous les dieux ! Il est le seul à pouvoir y faire des cérémonies et demander protection. Il peut dialoguer avec tous les dieux. Dans ce cas, il est canal et ne se souvient plus du tout de ce qu’il a dit.
Il nous précise aussi que les enfants et les handicapés ne peuvent pas venir sur les pierres, sous peine de mourir. C’est arrivé à un homme qui y est allé avec une autre personne alors que Motorai lui avait dit non… il est rentré en Europe et mort peu de temps après.
Dans la culture tahitienne, il est question de géants. Pour Motorai, ils ont bien existé, comme pour tous les tahitiens. Ils devaient dépassés la taille de la pierre blanche qui est sur un des marae. Ils avaient ensuite deux épreuves à réussir, faute de quoi, ils n’étaient pas reconnus géant, ce qui était un privilège.
Nous rentrons avec Clémentine, subjuguée par ce que nous avons vécu. Un moment suspendu dans l’éternité, nous peinons à mettre des mots… Je suis pleine de gratitude !
A la fin de la journée, en voulant redescendre à la plage pour retourner dans ma case, je fais 10 mètres et je tombe dans la boue ! Je me tords le genou et la cheville gauches. Je me relève malgré un gros crac et peux marcher. Je reviens à la cuisine et demande à Vaite de me descendre en voiture. Elle a un gros pick-up 4×4, nécessaire pour passer partout quand la pluie est bien tombée… Ça m’embête car elle est épuisée. Depuis un mois, elle gère toute l’exploitation seule. Son mari a été condamné à une peine de prison d’un an ferme pour conduite en état d’ivresse. Du jamais vu ici, la peine est sévère ! Ils ont deux enfants à la maison, Eden 11 ans et Oro 2 ans. Leur aîné est à Tahiti au lycée hôtelier, il a 18 ans. Donner ses instructions aux woofers, gérer Oro petit bonhomme qui s’affole en hurlant dès qu’il ne voit plus sa maman, mettre en bouteille l’huile de coco (ils sont producteurs d’huile de coco bio), sécher les bananes, découper les étiquettes pour les scotcher sur les bouteilles, nourrir les cochons, préparer les cases pour les nouveaux arrivants, etc. La tâche est grande, elle dort peu…
Je finis par m’endormir en ayant remercié pour cette journée incroyable !!!